Les premiers vignobles de Bordeaux sont nés au sud de la ville dans la région des Graves et se sont développés au Moyen Âge grâce au soutien des communautés religieuses, puis grâce au commerce avec l’Angleterre et les pays du Nord . C’est ainsi que la longue histoire du Château Carbonnieux s’entremêle étroitement à celle de la ville, les mêmes périodes de crise, les mêmes heures de gloire et aujourd’hui, comme un défi au temps, les deux semblent tournés vers une nouvelle jeunesse.
Les Origines ( 1234 – 1519 )
Le nom de Carbonnieux viendrait d’une famille « Carbonius » ou Carbonnieu, ayant défriché et mis en culture des terres situées à Léognan au début du XIIIème siècle. Les archives de Bordeaux mentionnent le nom d’un certain Ramon Carbonnieu, propriétaire de vignes à Léognan en 1234. Cette origine médiévale du domaine se confirme par un acte d’échange, en date du 2 avril 1292, passé entre deux moines de la puissante abbaye de Sainte-Croix de Bordeaux.
En 1152, Alienor D’Aquitaine épouse Henri II, l’Aquitaine entre dans le royaume d’Angleterre et devient la Guyenne. Les échanges commerciaux sont facilités, les ventes de vins se multiplient et Bordeaux prospère jusqu’à la guerre de Cent Ans (1337-1453). Suite à cette longue période tourmentée ayant provoqué disettes, mauvaises récoltes et épidémies, les Bénédictins se voient contraints d’abandonner leur vignoble de Carbonnieux.
La Dynastie des Ferron ( 1519 - 1740 )
En 1519, suite aux déboires de la Guerre de Cent Ans, la terre de Carbonnieux fut revendue par les Bénédictins de Sainte Croix à Jean de Ferron.
Issu d’une puissante famille bourgeoise de Bordeaux qui possédait déjà des vignes, Jean de Ferron, récemment anobli, se devait, pour donner du lustre à son rang, de posséder un grand vignoble en Pays de Graves. Nouveau Seigneur de Carbonnieux, il entreprend une politique d’acquisitions et de remembrements qui se poursuivra sous ses successeurs pendant deux siècles et demi.
Ancienne ferme fortifiée, la maison noble des Ferron prend petit à petit son allure actuelle avec sa magnifique cour intérieure, ses hautes tours périgourdines et devient un grand domaine, avec ses dépendances, ses terres cultivées et son imposant vignoble.
Sous le règne de Louis XIV, après plusieurs générations de Ferron, Carbonnieux devait atteindre alors sa première apogée.
Les Moines de l’Abbaye Sainte Croix ( 1740 – 1791 )
Grands Vinificateurs...
Pourtant hissée au titre de « Seigneurs de Carbonnieux », la famille Ferron, endettée, céda sa propriété de Carbonnieux en 1740 aux moines de l'abbaye Sainte-Croix de Bordeaux. Après 2 siècles et demi passés entre les mains des Ferron, une nouvelle ère se profile pour Carbonnieux.
Acquis au départ pour être « une mère nourricière » de l’Abbaye, le domaine de Carbonnieux devint vite la grande affaire des Bénédictins qui n’hésitèrent pas à emprunter massivement pour porter leur cru de Carbonnieux au premier rang des vins blancs de Graves. Dom Galléas fut parmi les premiers à effectuer des assemblages de cépages et à mettre ses vins en bouteilles, ce qui permettait aux vins, de voyager plus facilement et d’être conservés plusieurs années avant d’être consommés. Ses méthodes de vinification et les installations des chais étaient parmi les plus modernes de la région.
Lors du classement de l’Intendance de Guyenne, émis en 1776, les vins blancs « Aux Bénédictins de Carbonnieux » étaient fort prisés. Si le « premier cru de Pontac » (Haut-Brion) est à cette époque la référence pour les vins rouges, Carbonnieux vient largement en tête de tous les vins blancs de Guyenne.
...Mais Aussi Exportateurs
Grâce aux talents des Bénédictins de l’Abbaye Sainte-Croix et à leur dynamisme pendant un demi siècle, le domaine connait d’énormes progrès et la renommée de la célèbre bouteille ornée de la coquille Saint-Jacques devient mondiale, de Constantinople aux Etats Unis.
En effet, en ce XVIIIème siècle où le port de Bordeaux connait une époque florissante, les moines réussirent à introduire les vins blancs de Carbonnieux, limpides et peu colorés, dans le palais du Sultan Ottoman sous le nom d’« Eau minérale de Carbonnieux ».
La ruse était facile puisqu’une de ses favorites, était une bordelaise capturée par des pirates, puis offerte au prince du harem. La légende va même jusqu’à dire que celui-ci aurait posé la question « mais pourquoi ces français font-ils du vin alors qu’ils ont une eau minérale si délicieuse ?».
Le passage de Thomas Jefferson
En 1787, Thomas Jefferson, futur président des Etats Unis, gastronome et grand amateur de vin, entreprit une grande tournée dans toute la France pour y découvrir ses vignobles. A Bordeaux il sélectionna quelques propriétés renommées et son carnet de voyage révèle qu’il se rendit en personne à Carbonnieux pour déguster ce « Vin des Odalisques », comme l’on disait en ce temps-là outre-Atlantique. Thomas Jefferson marqua également son passage en faisant planter un noyer d’Amérique (pacanier, arbre à noix de pécans) dans le parc du château. Cet arbre debout depuis plus de 2 siècles trône encore aujourd’hui au-dessus de la cour intérieure. Il est considéré comme le plus vieux pacanier du sol français.
Au printemps 1787, Thomas Jefferson, alors Ambassadeur des Etats-Unis en France fait un voyage de trois mois dans le sud et l’ouest de la France et en Italie du nord.
Bordeaux où il séjourne du 24 au 28 mai 1787, est une étape particulièrement importante. Il visite les plus prestigieux Châteaux du Médoc et des Graves, parmi lesquels le Château Carbonnieux, alors propriété des moines Bénédictins de Sainte-Croix. Dans le parc du château, se trouve aujourd’hui un noyer de pécan, un pacanier de plus de 30 mètres de haut et 4,50 mètres de circonférence : un monument historique. On lui attribue un âge correspondant à la visite de thomas Jefferson, 225 ans.
Cet arbre a toujours été connu des propriétaires du Château comme « Le noyer de Jefferson ». Même si ses dimensions attestent de son grand âge, le sujet méritait une recherche dans les papiers de Jefferson car les archives du Château ont disparu. A la Révolution Française, le domaine a été saisi comme bien national et revendu en 1791 ; il a ensuite connu plusieurs propriétaires.
A la demande de Jane Manaster, auteur d’une étude générale sur le pacanier, « PECANS », publiée en 1994 et réimprimée par Texas Tech University Press en 2008, Juliegh Muirhead Clark, bibliothécaire à la Colonial Williamsburg Foundation, a mené une recherche exhaustive sur toute la période du séjour de Thomas Jefferson en France, du printemps 1784 à l’automne 1789, pour tenter d’établir un lien avec le pacanier du Château Carbonnieux.
Le journal de voyage de Thomas Jefferson est exclusivement consacré à ses observations sur l’économie agricole et tout particulièrement la viticulture et le vin dont il était grand amateur.
En revanche, sa correspondance des années 1785 à 1787 contient des lettres adressées à plusieurs de ses amis, notamment à James Madison qui sera Président à sa suite en 1808, pour demander qu’on lui envoie des lots de 100 à 200 ou 300 noix de pécan « aussi fraiches que possible, dans des caisses avec du sable ».
Thomas Jefferson, disciple de la doctrine agrarienne, agronome lui-même, était en contact
avec des botanistes dont l’histoire a gardé le nom, Buffon, Duhamel du Monceau et aussi Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, homme d’Etat qui apporta son soutien à la publication de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert et mourut sur l’échafaud, prix de son courage dans la défense du roi Louis XVI. Il leur procurait des échantillons de la faune nord-américaine pour leurs collections et des graines, notamment chênes, érables et pacanier. Dans une lettre de mai 1786, Monsieur de Malesherbes remercie Thomas Jefferson de la fourniture d’un lot de noix de pécan, précisant que le pacanier est à ses yeux « un des arbres d’Amérique qu’il est le plus intéressant de naturaliser en Europe qu’il faudra planter dans les provinces méridionales de France et en Italie parce que ceux déjà plantés quinze ans plus tôt chez lui (à Malesherbes, près de Paris) ont supporté sans dommages des hivers extrêmement rudes, mais n’ont pas encore fructifié ».
Il serait surprenant, qu’ayant demandé des envois de noix en 1786, il n’en n’ait pas emporté dans son voyage pour acclimater l’espèce dans les régions méridionales qu’il allait visiter ainsi que l’avait suggéré Monsieur de Malesherbes
L’arbre lui-même, le pacanier du Château Carbonnieux, dans son silence majestueux peut aussi témoigner de cette paternité par ses dimensions. La comparaison avec un autre pacanier situé au Jardin Public de Bordeaux , planté après 1856, montre un taux moyen de croissance annuelle sensiblement égal pour ces deux arbres, situés dans la même région et dans des conditions assez comparables. On a recensé en France 27 pacaniers situés dans de parcs et jardins publics. Ceux de
Carbonnieux et de Bordeaux sont les plus anciens et les plus grands.
La concordance des dates, la correspondance, les dimensions de l’arbre, la comparaison avec celui du jardin public de Bordeaux, tout rattache le pacanier du Château Carbonnieux à la visite de Jefferson et montre que ce n’est pas sans raison qu’il est connu sous le nom de « noyer de Jefferson »
Les admirateurs d’arbres ne devraient pas manquer lors d’un passage à Bordeaux d’aller saluer ce
témoin vénérable qui offre l’occasion d’une agréable visite dans un des plus prestigieux domaines viticoles de Bordeaux.
Bordeaux le 19 mars 2013
Texte écrit par leProfesseur Bernard Dalisson
Des Bouchereau à la famille Perrin ( 1791 - 1956 )
A la révolution française (1789), l’état récupéra les biens du clergé.
En janvier 1791, à l’issue d’enchères acharnées, Carbonnieux est vendu comme « bien national » à Elie de Bouchereau moyennant 366 000 livres, soit 170 000 livres de plus que son estimation. De retour des Antilles, la famille Bouchereau s’installe alors au Château de Carbonnieux et y demeurera durant 87 ans. Avant l’attaque du phylloxéra, en 1871, la propriété comprenait 137 hectares, dont la moitié en vignes répartie en cépages nobles du Bordelais et judicieusement sélectionnée grâce aux recherches ampélographiques des Frères Bouchereau.
De 1828 à 1871, Henry-Xavier Bouchereau constituera à Carbonnieux une collection unique au monde de cépages français et européens qui comptera jusqu’à 1242 spécimens différents. Comme la plupart des propriétaires durant la « crise des Maladies », les Bouchereau durent céder leur domaine en 1878.
A l’aube du XXe siècle et jusqu’en 1956, il s’en suivra une « valse de propriétaires » avant que la famille Perrin prenne en main les rênes du domaine.
Une Nouvelle Apogée Pour Carbonnieux ( 1956 à nos jours )
Après avoir essuyé deux guerres, la viticulture bordelaise est au creux de la vague. L’hiver 1956 est marqué par un terrible gel et cette même année, dès son acquisition, Marc Perrin s’attèle à la restauration du château et de son vignoble. Avec l'aide de son fils, il se lance dans une grande campagne de replantation qui porte dans un premier temps le domaine viticole à 45 hectares en 1970, puis à 70 hectares en 1980 pour près de 95 aujourd’hui. Au décès de son père, Antony prend les rennes, il construit un nouveau cuvier en 1990 et modernise les chais pour les adapter aux nouvelles méthodes de vinification. Il poursuit la restauration du château et du vignoble, il n’hésite pas non plus à s’investir dans la renommée de Carbonnieux et des vins de Bordeaux à travers le monde. Il fut président de l’Union des Grands Crus de Bordeaux, président des crus classés de Graves mais aussi un des promoteurs de l’Appellation Pessac-Léognan qui vit le jour en 1987.
Au fil des années, il a transmis cet héritage familial et son savoir-faire à ses enfants, Eric, Christine et Philibert Perrin.
Ce sont eux qui aujourd’hui ont repris le flambeau en dirigeant ce domaine une fois de plus à son apogée. Sur les traces de son père, Eric, a pris la charge de président des crus classés de Graves entre 2012 et 2015 et Philibert celle de président de l'Appellation Pessac-Léognan depuis 2017.
2019, La famille s'agrandit, les fils ainés d'Eric rejoignent les équipes de travail. Marc pour une partie commerciale et Andréa en tant qu'oenologue-maître de chai.